Nos vestiges // Erebux

Mes mots ne sont qu'un ruban de mensonges. Mes gestes, des étapes nécessaires pour étouffer ce que je ressens, ce dont j'ai terriblement conscience. Ce n'est pas le passé qui s'est noyé à mes lèvres, mais le présent qui s'est déversé, intense, déstabilisant, donnant cette sensation de vertige et de suffocation. J'ai fini par le faire lâcher prise, par reculer, et si j'ai gardé les yeux clos si longtemps, c'était également pour ne pas sombrer dans ce précipice qu'il représente. Il n'y a rien de comparable. Vraiment. Et si je n'avais pas eu besoin de le sauver ce soir, nous n'en serions pas là, je ne l'aurais pas approché, je ne l'aurais pas laissé effleurer ma joue, me souffler ces paroles qui m'avaient conduit à vouloir vérifier, m'en assurer. Nécessité troublante pour celui que je suis, et en même temps, si peu surprenante. J'aurais voulu que cela me confirme ses dires, quand j'avais été englouti par le raz-de-marée que je n'avais pas pressenti. A peine une faible faille dans le mur si solide que j'étais parvenu à ériger au fil de ces années passées.

Alors je l'esquisse ce sourire que je sais si faux, mais qu'il ne perçoit pas ainsi. Celui qui me laisse parler de cette vie que j'aime tant, et qui pourtant a cette saveur si face, fiel désastreux qui s'y faufile. J'énonce l'absence d'amour dont j'ai fait mon quotidien, gouffre satisfait à des corps et des étreintes aussi volages qu'éphémères. Dont une m'avait déjà coûté la vie. Enfin, j'étais toujours là, mais tout de même. Je tente de reprendre contenance, je m'empare de quoi faire un pansement, mais... « Je…je comprends. » Il tremble. « Je…je dois y aller… » Encore. Murmure qui se fait précipité. Fuite hasardeuse, regard qui m'évite. « Merci, pour m’avoir aidé. » Qui fixe le lointain, et ma main retombe, comme une poupée dont le marionnettiste aurait abandonné le fil. C'est souple, lent, sans que je ne sache réellement quoi lui dire. C'est peut-être mieux ? La meilleure des décisions de cette foutue nuit où j'ai eu l'impression de me noyer, de suffoquer à ce souffle que j'avais perdu. Noyé respirant à nouveau. Égaré ayant goûté une saveur interdite. « ça va aller…bonne soirée. » qu'il ajoute de ce faux sourire que je sais reconnaître, avant qu'il détale en courant dans la rue, sans même avoir pris le temps de se rhabiller. Il a trouvé la sortie, la porte ouverte, et...

Je ferme une nouvelle fois les yeux avant de les élever vers le plafond, ma mâchoire se serrant, mes doigts se perdant dans mes cheveux que je décoiffe sans y prendre garde. Je jure en silence entre mes lèvres alors que je secoue faiblement la tête de gauche à droite avant de m'éclipser. Le monde, mon monde, est composé de lui. Et pour la même raison que je n'ai pas pu le laisser se faire tuer, je suis incapable de le laisser partir ainsi. Je réapparais dans la rue, à une distance jugée. Je me tourne, le cherche des yeux. Je l'ai dépassé. Juste un peu, mais il est encore entre la maison et moi. Alors je me mets à courir dans sa direction. C'est stupide. J'aurais mieux fait de le laisser partir, disparaître, avant qu'il ne finisse par transpercer ce cœur si bien protégé au fil des années passées. Ma main s'agrippe à son bras. « Lux, s'il te plaît, tu vas attraper la mort comme ça... » Mes premiers mots. Ils ne sont que le reflet de la raison, et je sais pertinemment que rien de cela ne parviendra à le faire rester. Je l'ai blessé. Je l'ai... Je déglutis, soupire... « Je ne t'ai jamais remplacé. » C'est un souffle au creux de mes lèvres, un aveu comme je n'en ferai plus, parce que je ne veux pas, je ne veux plus. Ca fait mal. Et je ne veux plus avoir mal. J'ai choisi, est-ce si difficile à comprendre ? A saisir ? Alors je le rejette... du moins, je l'ai fait, mais je suis à nouveau là, à le retenir d'une main, à laisser la seconde se noyer jusqu'à sa joue, emprisonnant sa nuque. C'est la vérité, je n'ai jamais aimé après lui, parce que je me suis emmuré, parce que... « Ecoute ce que je ressens. Ecoute bon sang. Je suis désolé... je suis qu'un con. Je... Rentre avec moi, s'il te plaît. »

Je n'ai pas hésité. Pas vraiment. Pas assez pour ne pas le retrouver dans la rue, terminer par le rattraper, capturer son bras pour qu'il ne puisse plus fuir. Je déconne, réellement. Il aurait mieux fallu qu'il disparaisse, qu'il quitte mon existence, et pourtant, je suis là, au milieu de la rue, à lui dire qu'il va tomber malade alors qu'il tremble sous mes doigts. Il ferme les yeux sans répondre. Et je sais que mes mots ne suffisent pas, que la raison n'est qu'une brume passagère pour son esprit, alors je laisse d'autres paroles se faire vérité, plus douloureuses, plus insidieuses. Elles lui murmurent ce vide jamais comblé, cet emplacement qui fut le sien, et l'est encore en un sens, puisqu'aucun autre ne s'y est installé depuis. Personne ne l'a remplacé. Personne. Le mur a été dressé, la vie s'est faite mesquine, hasardant dans une direction qui ne requerrait personne à mes côtés.

Ses yeux s'ouvrent au contact de mes doigts qui glissent sur sa joue, sinuent jusqu'à sa nuque. Ils sont rouge des larmes qui lui brûlent les yeux. Et j'insiste, parce que je ne veux pas qu'il fuit, je vais qu'il saisisse tout ce qui se tortille de douleurs derrière cette bravade précédente, ce rejet de ce nous qui me torture déjà, remonté si brusquement à la surface qu'il me laisse suffoquer comme si l'air avait fini par disparaître. Je lui ai dit le faire, de lire en moi, toutes ces émotions que je ne veux pas nommer, dans lesquelles je refuse de sombrer, mais qui me brûle et me dévore de l'intérieur. Elles sont là, vibrantes, tenaces, et je sais qu'elles sont trop vives pour lui échapper. Alors ses doigts viennent se poser sur mes joues alors que je laisse un soupir mourir à mes lèvres. Qu'il glisse au milieu de mes tourments, de cet ouragan qui semble vouloir tout dévaster si je lui en laisse l'opportunité. Je le laisse découvrir cette vérité qui n'est que flammes douloureuses, de la même manière que je l'aimais quand je lui ai dit adieu autrefois, les remparts du monde prêts à s'écrouler, condamner l'accès ce myocarde qui agonise à présent.

Un rire qui s'entremêle à ses larmes, voilà ce que cela provoque en lui. « T’es pas un con… » Oh si, tellement. Il n'a même pas idée à quel point je le suis. Un idiot. Un crétin qui aurait mieux fait de fermer sa bouche, de ne pas l'embrasser, et finalement de ne pas le suivre dans la rue. « …t’es un homme blessé, Cela, je ne l'ai jamais laissé voir, plaie tellement bien dissimuler dans ma vie sans conséquence... ou presque. un homme amoureux. » J'ai comme un serrement dans la poitrine, tandis que je détourne les yeux et que mon souffle se fait plus difficile. Cela ne veut rien dire. Cela ne signifie rien. Ne doit rien signifier. C'est le genre de conneries que je pourrais dire si j'ouvrais les lèvres à cette seconde. Parce que je ne voulais rien nommer. C'est moins réel lorsque cela n'a aucun nom. Ce n'est qu'une menace qui rôde, que l'on perçoit, et finalement sur laquelle on ne s'attarde pas. Il soupire, se rapproche, comble la distance, son visage venant s'enfouir contre mon épaule. « ramène-moi. »

J'hésite. Je l'ai retenu. Je l'ai supplié. Et à présent qu'il est contre moi, j'hésite, et puis mes bras se lèvent, s'enroulent autour de sa taille, effleurant son derme sous mes doigts. Il est comme un souvenir trop vivace que je pourrais étreindre. Comme un spectre de mes songes à la fois douloureux et rassurant. « …ramène-nous. » Je nous éclipse sous l'obscurité dévorante provoquée par les arbres. Ici, il n'y a personne. Juste un peu, pas assez pour qu'une dispute nocturne attire l'attention. Pas assez pour qu'une lueur mystérieuse éveille les voisins. L'on réapparaît dans le salon que nous venions de quitter, et je le garde pourtant contre moi un peu plus longtemps que nécessaire. Comme si nous étions encore dehors, ou en train de voguer entre un lieu et un autre. Une vérité justifiée. Je finis par reculer, le relâcher, et je m'empare de ce fichu pansement pour le lui mettre, enfin. Je n'ose pas ouvrir les lèvres, je crains de dire quelque chose qui le fera fuir à nouveau, disparaître dans une nouvelle connerie soufflée par habitude et sarcasme, alors que l'inverse pourrait fleurir dans mon esprit. Je choisis de faire dans la simplicité, je laisse mes doigts glisser sur ses autres plaies, je les effleure, les désinfecte, prenant soin de lui, et puis... « Tu veux aller te reposer ? » Mon regard revient effleurer le sien à cette simple question. Je ne lui propose rien. Je ne lui fais aucune promesse, j'en serai bien incapable. « Je ne sais pas si tu travailles demain... » Le présent, cette muraille que j'érige, et pourtant, ma main s'attarde sur sa peau sans que j'y songe réellement, au dernier endroit soigné, effleuré. J'oublie. Ou mon esprit se joue de moi. La différence n'existe pas. J'ai le cœur qui tambourine, funeste oraison de ces retrouvailles qui me tourmentent.

Frissons et silences. Gestes doux et précautionneux. Ce qui nous a unis durant de longues minutes où pas un seul n'a décelé les lèvres. Peut-être qu'il a pensé comme moi que nos mots briseraient tout, précipiteraient quelque chose de désastreux. Je sais que les miens en sont capables, ils l'ont déjà fait un peu plus tôt, le poussant à fuir dans la rue. Je me suis mis à nu, réellement, le laissant se noyer dans mes propres émotions pour qu'il comprenne l'envers du décor. Une autorisation dont il aurait pu se passer, je le sais bien. Puis je termine, et il faut bien qu'il cesse ce silence. Nous ne pouvons nous en nourrir éternellement, même si ce serait sans doute plus simple, plus facile. Pas de mensonge, pas de sarcasme, pas de vérité trop envieuse. Je suis le premier à parler, à lui demander s'il veut se reposer, après tout, peut-être qu'il travaille demain et l'attaque n'a pas du arranger les choses. De mon côté, l'avantage d'être un privé veut que je puisse choisir mes horaires. Je suis mon propre patron, tout comme dans le camp que j'ai choisi, à savoir l'absence de position non neutre, personne n'a à me redire quoique ce soit. Avantage d'une liberté dans laquelle je m'épanouis depuis des années. « Je… » Ses doigts s'enroulent autour de mon poignet sous le besoin d'un contact que je ne rejette pas, mais qui s'efface finalement de lui-même à l'instant où il détourne les yeux.

« Je ne travaille pas…j’ai…je me suis consacré à mon rôle de Cupidon depuis ma sortie de l’école. Ironique, je sais. » Pas vraiment. Je savais qu'il le voulait déjà à l'époque où nous étions ensemble. Et puis, ne dit-on pas que les cordonniers sont les plus mal chaussés ? Je m'interroge cependant. La même question que je me suis toujours posées. Comment vit un être qui se consacre à sa magie ? Comment survivre dans le monde des mortels si aucun métier ne vient permettre de se payer un loyer ? « Et ça te convient ? » que je souffle, intrigué. Je ne critique pas sa façon de vivre, mais elle ne me conviendrait pas. Ce serait comme si je ne faisais que prendre soin de "protégés"... Je n'ai pas été élevé ainsi. Déjà gamin, on me parlait de prime pour un contrat rempli. J'ai simplement changé de cible, mais je reste un Phénix, quoiqu'il arrive. L'autre facette... ne m'intéresse que trop peu. Je l'observe jouer avec ses mains, mais il devrait le savoir, je ne l'ai jamais jugé. Ni alors, ni aujourd'hui, malgré les veines qui soufflent qu'il n'est pas aussi cupidon qu'il le voudrait. Pas sur ces choses qui constituent de véritables choix.

Il relève finalement les yeux dans ma direction, précédant ces paroles, ce murmure... « Reste avec moi…ce soir…reste avec moi, s’il te plait. » ... qui me fige. Je laisse mon regard se détourner, comme pour fuir le sien, parce que je ne sais pas quoi lui répondre. Je ne suis plus le même, sur ça, je n'ai pas menti, et je me suis oublié à plus de corps que d'années. Il n'y avait que des faits, et je ne saurais pas lui faire de promesse. « Juste cette nuit…je ne veux pas dormir seul… » Juste cette nuit... ce n'est pas une promesse. Mais j'ai peur des effets de sa présence, de vouloir goûter à nouveau à son contact après ça, ou de réclamer plus que deux corps qui s'imbriquent chastement. Pas par manque... ou peut-être bien celui que je refuse d'admettre. Je crains les conséquences de cette demande de la même manière qu'un baiser. Et regardez-en les effets. Bon sang ! Il ne sait pas ce qu'il me demande. Il n'a pas conscience... Mes pensées s'arrêtent, leur cheminement chaotique s'immobilise, tandis qu'il se rapproche, que son front se presse contre le mien. Mes iris se relèvent à la recherche des siens. « …s’il te plait Er’. »

Je déglutis, mon souffle s'assourdit, je relève une main que je sens trembler. J'hésite. A croire que je ne sais faire que ça ce soir. Entre le rejeter, le repousser. Et lui céder, parce qu'il prendrait sûrement la fuite, encore. Et non, je ne suis pas prêt à le laisser disparaître sans tee-shirt, dans l'obscurité, alors qu'un démon vient de tenter de l'éliminer. « D'accord. Une nuit. » Ma main revient s'égarer sur sa taille, le temps d'une autre éclipse. J'abuse ? Peut-être. Mais c'est assis sur le rebord de mon lit que nous réapparaissons. Mon regard flirte une seconde avec ses lèvres et je me recule, pour éviter de commettre une nouvelle erreur qu'il n'a pas sous-entendu. Je me redresse, lui souffle un « Mets-toi à ton aise. » alors que je retire ce qui compose mon haut. J'avais d'autres tatouages autrefois, j'étais mort entre temps, et c'est une peau neuve, intacte qui me voit revenir à la vie. Seule la marque des phénix reste présente, identique, figure à même mon derme actuellement. Je n'ai pas eu le temps de renouveler ma panoplie depuis Hargreeves. Je m'arrête là, conserve le reste. Je sais qu'il sait pourquoi j'agis ainsi, peut-être que ça le blesse, je n'en sais rien. Comme si un pantalon était un rempart digne de ce nom... Je me dirige vers... « La salle de bain est contiguë à la chambre si tu veux te rafraîchir. » J'y asperge mon visage d'eau, et je reste silencieux à regarder mon reflet dans le miroir, mes mains de chaque côté de la vasque. Parce qu'il est à côté. Qu'il va passer la nuit avec moi. Qu'importe la manière, mon cœur n'y voit pas de différence.

Il ne travaille pas. Pas au sens propre du terme, ne se consacrant qu'à cette facette du monde de la magie qui m'a toujours laissé dubitatif. Comment survivre quand aucun salaire ne nous est versé ? Comment accepter que toute sa vie ne soit tournée que vers cette facette de nous-même ? Je ne pourrais m'y faire, mais il ne s'agit pas de moi, et si cela lui convient... Alors j'ose poser la question, celle qui me semble naturelle, qui s'écoule de mes lèvres sans avoir besoin que j'y réfléchisse. « Non… mais trouver un travail qui me laisse assez de liberté pour m’occuper de mes protégés, c’est délicat… » Ce n'est qu'un murmure, une vérité, alors qu'il hausse les épaules, parce que oui, c'est compliqué pour n'importe qui. J'avais trouvé la bonne planque en fin de compte, même si je ne l'utilisais pas. J'étais libre de travailler selon les horaires que je voulais, et en contrepartie, il pouvait m'arriver de le faire à des heures inconvenantes où le commun des mortels se laisse porter par des songes bienvenus. Je hoche doucement le visage, conscient de ces paroles, de ces vérités, de ces deux mondes qui s'entrechoquent de manière indéniable un peu trop souvent. Mais voilà qu'il relève les yeux dans ma direction, me demande une nuit, en vient à coller son front contre le miens, à user de ce surnom qu'il a toujours été le seul à faire naître entre ses lèvres. Je ne suis pas amateur des surnoms, ils donnent l'impression d'écorcher mon prénom. Mais il se nimbe d'autre chose quand c'est lui qui le souffle. Sans promesse, juste une nuit, juste... J'accepte, les pensées qui se précisent. J'ai conscience de l'erreur que je commets... que nous commettons, avant même de nous éclipser jusqu'à cette chambre, sur ce lit où je l'abandonne.

Des mots encore. Qu'il se mette à l'aise. J'en profite pour faire disparaître mon haut, et uniquement lui tandis qu'il m'observe. Je sens son regard, jusqu'à le croiser brièvement avant de lui parler de la salle de bain dans laquelle je vais. Visage perlé de ces gouttelettes d'eau que je fais naître à même ma peau. Reflet qui me fixe en silence, il est là, ce regard qui sait ce que je sais. C'est une nuit de trop dans ce perpétuel murmure qu'est le temps qui s'écoule, l'eau qui ruisselle, le mur érigé qui s'effrite. Et puis ce n'est plus seulement mon propre reflet, il y a le sien également, parce qu'il vient de me rejoindre dans la salle de bain, qu'il s'approche. Peut-être qu'il veut le lav... « Erebe… » Sa main qui glisse depuis ma nuque et semble s'éterniser sur mon dos me fait me tendre, anéanti le cours de mes pensées. J'en retiens mon souffle, et c'est presque un reproche que mon reflet me retourne. A lui ou à moi ? La question reste ouverte. « Viens dormir… » Ses lèvres ponctuent sa demande, sur mon épaule, sous un baiser qui fait s'emballer les battements de mon cœur. Je manque de lui demander d'arrêter, de ne pas faire ça, mais les mots ne s'esquivent pas, et puis il recule déjà de lui-même. « Et enlève ton pantalon, je t’ai déjà vu le cul à l’air plus de fois que je ne pourrais le compter. Et des deux, t’as toujours été le plus pervers. » Il me sourit en coin dans ce reflet qui m'observe, m'arrachant un sourire également, amusé. Je suis trop sérieux quand il est là. Bien trop. Mais c'est une lutte. Une véritable lutte, pour ne pas sombrer dans la déroute, pour ne pas chuter dans ce précipice. Je voulais blaguer aussi, sortir une remarque plus légère, mais ses lèvres reviennent ébaucher ma gorge. Il disparaît déjà, me laissant seul dans la salle de bain avec mon reflet qui semble me juger. « Je t'y verrais bien, toi. » que je marmonne dans sa direction avant de pivoter à mon tour.

Je retourne dans la chambre, marque une hésitation, et puis tant pis, j'abdique. C'est lui qui devrait être habillé en fin de compte, il a peut-être raison. Je retire chaussures et chaussettes d'un jeu de jambes habitués, avant de faire descendre mon pantalon que je dépose sur une chaise. J'ai besoin de m'occuper l'esprit, et c'est presque sans le vouloir que la proposition vient, reprend ses paroles passées. « Si tu veux, j'ai besoin d'un secrétaire. » Besoin, besoin... disons que les papiers sont rangés quand j'ai envie de m'y coller et que j'ai un moment. Ce qui n'arrive pas souvent. L'idée m'avait déjà traversée l'esprit plus d'une fois, et puis après je changeais d'avis, il fallait quelqu'un en lien avec le monde la magie, et disons que j'aime bosser sans avoir quelqu'un dans les pattes. « C'est une agence de détective privé. Le patron -moi bien sûr- n'est pas trop regardant sur les horaires, et la paie n'est pas énorme, mais elle s'agrémente de prime selon les enquêtes. Réfléchis-y. » que je souffle en venant me glisser sous les draps. Est-ce que je viens vraiment de lui offrir une porte d'entrée dans ma vie ? Est-ce que je viens de lui proposer en le rejoignant dans mon lit de devenir mon secrétaire ? Ca ressemble à un mauvais film porno et ça m'arrache pourtant un sourire en coin. Je n'attends pas de réponse à ma proposition, pas dans l'immédiat en tout cas. J'imagine que c'est le genre de chose qui demande réflexion...

A la place, je me noie dans ses prunelles, je tends une main pour venir chasser une mèche qui barre son front comme je l'ai fait une centaine de fois, dans une autre vie. Je reste malgré tout à distance, dans mon propre lit, parce que je sais que je brûle de goûter à ses lèvres, de l'attirer contre moi. Le plus pervers des deux... j'ai l'impression que ses lippes ont laissé des traces qui me brûle à l'endroit où elles ont touché mon derme. « Ce n'est peut-être pas une bonne idée... » Pas de l'embaucher. Je suis déjà loin de ma proposition. Je parle de cette nuit. De ce lit. De sa présence si proche de moi. Ma main a chuté doucement jusqu'à sa nuque, son épaule. Je sais qu'il va se rapprocher, qu'il va venir. Et quoiqu'il se passe, de la plus douce étreinte trop chaste, à la plus passionnée, je sais qu'il va me hanter plus encore, qu'il va élargir la fissure du mur. Parce que j'ai suffoqué. Parce qu'il n'a rien d'un élément oublié du passé. Et que je n'ai rien à lui donner. Rien que de l'éphémère. Rien qu'un myocarde qui agonise.

« Oh…il est vrai que…toi et les papiers, ça fait deux. » Nous avons retrouvé nos places, celles que nous prenions lorsque nous étions ensembles, lorsque demain rimait avec ces sentiments que je pensais éteints depuis le temps. Ce passé qui se nimbe d'un souvenir trop vivace, et qui se trouve entre mes draps. J'ai soufflé cette proposition, celle de le faire travailler pour moi. Peut-être que c'est une idée idiote, peut-être que c'est une occasion à saisir pour ne plus avoir à s’embarrasser avec les papiers, peut-être que c'est un moyen de veiller sur lui d'une certaine manière... alors qu'il a affirmé un peu plus tôt être incapable de se défendre. Peut-être... Je présume que je viens d'avoir la pire idée, parce que c'est le laisser entrer dans ma vie, s'y attarder plus qu'il ne faudrait. Il s'est rallongé à présent. Et je n'attends pas de réponse. Pas à cette proposition qui je regretterai sûrement demain, mais sur laquelle je ne reviendrai pourtant pas. Proposition... « je veux bien… » ... qu'il accepte ? Juste... comme ça ? Sans réfléchir. Sans hésiter. Il travaille pour moi, alors que l'on ne s'est pas revu depuis des années, que le goût de ses lèvres m'a fait me noyer dans un abîme sans fond. Et voilà qu'il travaille pour moi, que l'on va se revoir, ...

Je ne réponds rien. Parce que rien ne me vient. Je ne sais pas quoi dire, quoi souffler, quelle émotion serait la plus logique à cette seconde. Je hoche la tête contre l'oreiller, esquisse l'ombre d'un sourire qui se dissipe tandis que ma main se dirige vers ses traits, chasse une mèche. Mes lèvres murmurent une vérité que mon reflet savait, qu'il me reprochait déjà dans l'autre pièce. Les brûlures de ses lèvres sur mon derme persistent comme si elles avaient réellement laissé des traces qui ne disparaîtront pas. Mes doigts glissent, mais je préserve cette distance... qu'il flouera sans remord d'ici quelques instants. Des minutes ? Il ne faut que quelques secondes pour qu'il la bafoue, sa jambe se glissant entre les miennes, sa main s'attardant sur ma hanche. Je déglutis. C'est une putain de mauvaise idée. « Je sais… » Son visage est trop proche, son souffle s'attarde contre mes lèvres, laisse le mien se faire plus sourd. Mes doigts qui sont restés sur son épaule la serre légèrement sous le frisson qu'il éveille du bout des siens. « Je suis désolé… » « Lux... » que je souffle comme une mise en garde sans comprendre pourquoi il est désolé. Je vais flancher s'il joue ainsi. Je vais oublier le regard que me lançait mon reflet dans la salle de bain, et qui savait où cela nous conduirait.

Ca fait s'accélérer les tambours de mon cœur. Ca fait frissonner ma peau et se tendre ce qui ne devrait pas. Je résiste. J'essaie du moins. J'essaie sous la fuite de mon regard, sous ces gestes que je ne m'autorise pas. Mais tout est soufflé à l'instant où ses lèvres rencontrent les miennes. C'est de cet avenir qu'il s'excusait, comme si cela rendrait l'erreur moins grande. Lux... C'en est une. A ses lèvres, c'est le passé qui m'étreint, celui de nos corps qui se cherchent, se reconnaissent, quand le sien se presse, et que mes lèvres s'étourdissent. J'ai lutté si fort... mais pas assez pour que ma main ne vienne pas l'attirer plus étroitement contre moi en s'égarant à sa taille. Peut-être ai-je suffoqué plus fort, pour avoir besoin d'une gorgée d'air à ses lèvres que les miennes ne cessent de conquérir à présent. Peut-être. Mes doigts glissent, rampent sur son corps, avant que le mien le repousse contre le matelas, l'autre main qui s'y enfonce pour ne pas l'écraser. Je chasse la couverture qui m'ennuie de celle qui le parcourait l'instant qui suit.

Et je ne cesse mes baisers, je ne cesse de sombrer. Mes doigts s'égarent sur ses traits, sa joue, mes lèvres ne désertent pas les siennes. C'est la chute la plus vertigineuse, la plus abyssale... tandis que je me love contre lui. C'est idiot, stupide, les idées qui vous traversent l'esprit parfois. Car ce que je pense en cet instant, c'est que c'est dans ses bras que j'aurais dû mourir. Un sourire en coin, j'écarte mes lèvres d'une distance si frêle que son souffle, aussi hachuré que le mien, s'y entremêle. Demain... demain... « J'te promets rien... » Ca s'échoue au bord de mes lèvres, les iris embrumés d'un désir plus sombre, d'un besoin niché au plus profond de mon être. Pas aussi charnel qu'il le devrait. Car mon cœur s'emballe. Et je sais que demain, mon regard me le reprochera, que la douleur sera plus vive... C'est comme si j'espérais qu'il me repousse, quitte à crever de douleur, autant le faire maintenant, autant ne pas attendre. Parce que je n'ai pas besoin d'aimer. Je le pense si fort, quand mon cœur reste sourd, emmuré depuis trop longtemps qu'il se débat tel un oiseau épris de liberté dans une cage étroite.